Le temps des retrouvailles, Robert Sheckley
Auteur : Lauryn Libellés : Nouvelles / Novellas, Science-FictionRésumé :
Voici venir le temps des retrouvailles avec un auteur qui, à l’instar de son compatriote Philip K. Dick, aura été de son vivant plus apprécié en France que dans son propre pays, la faute à une œuvre singulière et sans concession, souvent incomprise. Toutefois, la comparaison entre ces deux géants s’arrête là : les textes de Robert Sheckley sont drôles et mettent en jeu des personnages qui se débattent pour survivre à des situations absurdes. Avec l’humour féroce et moqueur qui constitue sa marque de fabrique, l’auteur y déploie autant de visions à la fois lucides et déformées de notre réalité et des étranges êtres qui la peuplent.
Le cinéma international ne s’y est d’ailleurs pas trompé, l’adaptant à de multiples reprises : aux États-Unis (Freejack, Geoff Murphy,1992), en France (Le Prix du danger, Yves Boisset, 1983) ou encore en Italie (La dixième Victime, Elio Petri, 1965).
Le présent recueil regroupe treize textes publiés entre 1953 et 1960 – la meilleure période de l’auteur selon certains. Et soyons honnêtes : si Sheckley fait moins rire aujourd’hui, c’est moins la pertinence de ses textes qui est en cause que les dérives de notre propre monde. Comment, en effet, ne pas tomber sous le charme d’un auteur qui imagine en 1958 les dérives de la télé-réalité ?
Chronique :
Robert Sheckley fait partie de ses auteurs dont j'ai souvent entendu parler, mais dont je n'ai jamais rien lu, soit par manque de curiosité, soit par manque d'opportunité (la plupart de ses livres ne se trouvent que d'occasion). Alors lorsque les éditions Argyll ont annoncé qu'ils publiaient ce recueil de nouvelles, je me suis précipitée. J'aime la science-fiction, et j'aime lire des nouvelles, tout était donc réuni pour une sympathique découverte de ce célèbre auteur dont j'étais incapable de citer le moindre titre.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne suis pas déçue. Robert Sheckley avait un don pour tourner en dérision notre société à travers des histoires très caustiques, où le lecteur sourit volontiers de l'absurdité des situations décrites. Je pense que ce recueil est le premier où j'ai adoré toutes les nouvelles, ou presque. Il n'y en a qu'une qui ne m'a pas du tout convaincue, et que j'ai terminé en lecture rapide. Toutes les autres sont excellentes, avec de petites pépites comme Le prix du danger, N'y touchez pas ! ou Permis de maraude, qui sont mes trois préférées. À travers elles, Robert Sheckley critique notre société, mais aussi nous en tant qu'individus, avec tous nos travers et nos contradictions. Il traite l'ensemble avec un humour décapant qui fait passer le message avec bien plus d'efficacité que s'il avait employé un ton plus sérieux, et le résultat n'en ait que plus jouissif. Mais partons à la découverte de chaque nouvelle.
Le Prix du danger (The Prize of Peril) : cette nouvelle vous rappellera le film Running Man (il y avait eu d'intenses discussions parmi les fans pour savoir qui, de Sheckley ou de King, était le plagieur de l'autre). Elle raconte l'histoire d'un homme qui s'inscrit à l'émission Le Prix du Danger, où il risque sa vie contre une forte somme d'argent. Très bien ficelée, avec une bonne dose d'humour noir, j'ai adoré. Le style dynamique convient parfaitement à cette histoire qui file à cent à l'heure.
Les Morts de Ben Baxter (The Deaths of Ben Baxter) : dans un futur lointain, le Conseil mondial d'organisation décide de favoriser une ligne temporelle où Ned Brynne ne doit surtout pas rencontrer Ben Baxter, puissant milliardaire, afin de sauver l'humanité. Trois groupes sont envoyés dans trois lignes temporelles différentes pour tenter d'empêcher - si possible en douceur - leur rencontre. L'idée est géniale, très bien traitée, et la fin est absolumment superbe.
Une Race de guerrier (Warriors Race) : l'équipage d'un vaisseau atterrit sur une planète où se situe une réserve de carburant dont ils ont besoin pour poursuivre leur voyage. Malheureusement, la réserve est considérée comme lieu sacré par les autochtones, qui ont une définition très particulière de "peuple guerrier". L'idée est vraiment sympathique et j'ai beaucoup aimé le concept.
N’y touchez pas ! (Hands off) : l'une de mes préférées. L'équipage du Endeavor, perdu aux confins de l'espace, découvre un vaisseau inconnu sur une planète. Ils décident de s'en emparer pour remplacer leur propre vaisseau, en piteux état. Ils vont se heurter à des obstacles peu banals. J'ai adoré cette nouvelle, qui explore tout ce que les différences entre deux peuples peuvent provoquer, que ce soit au niveau de la physionomie ou des mœurs. L'auteur s'y lance à cœur joie et cela donne un récit jouissif, hilarant et caustique, où le lecteur partage à la fois le point de vue des humains et de l'extra-terrestre. Génial !
La mission du Quedak (Meeting of the Minds) : une mission envoyée sur Mars ramène sur Terre, bien malgré elle, le dernier membre d'une race étrange, le Quedak. Parvenu sur une île perdue de l'archipel des Salomon, il décide de prendre le contrôle de la planète. Des chercheurs de trésors sont sa première cible. Cette nouvelle, plus sérieuse et plus sombre que les autres, est très bien racontée et le lecteur se plonge facilement dans l'atmosphère humide de ces îles, aux côtés d'hommes a priori condamnés. J'ai beaucoup aimé l'ambiance et la tension permanente qui pèse sur les malheureux.
Tu brûles ! (Warm) : celle que je n'ai ni aimé, ni vraiment comprise. Un homme va à un rendez-vous avec une femme dont il est amoureux, et il commence à entendre une voix. Pour moi, un étrange délire métaphysique sans saveur ni attrait. Vite oublié !
Un billet pour Tranaï (A Ticket to Tranai) : un homme idéaliste entend parler d'une planète à la société utopique, Tranaï. Du jour au lendemain, il quitte tout pour gagner ce paradis aux confins des zones explorées, espérant y vivre selon ses principes. Sur place, si tout commence à merveille, il finit par découvrir que, pour réaliser cette utopie, les habitants ont dû faire des choix pour le moins étranges... et problématiques. Une excellente nouvelle, avec des idées vraiment géniales qui nous font réfléchir sur la réalité de notre société et ce rêve inaccessible que représente une société sans le moindre défaut.
Le Temps des retrouvailles (Join now) : Alistair Crompton est un Scindé, un homme dont l'esprit a été coupé en trois parties distinctes pour aider la société, chacune effectuant un travail précis. Au terme de son contrat, il décide de réunir ses différents "moi", mais le voyage s'avère vite chaotique et dangereux. J'ai beaucoup aimé le récit en lui-même, avec cette façon d'utiliser chaque facette de notre personnalité, mais j'ai été un peu déçue par la fin. J'imaginais vraiment autre chose.
Tels que nous sommes (All the Things you are) : une équipe chargée d'un premier contact atterrit sur une planète en espérant obtenir l'amitié des autochtones. Malheureusement, l'être humain est, pour ces derniers, assez insupportable, dans plusieurs sens du terme. Vont-ils tout de même réussir leur mission ? Là aussi, Sheckley s'aventure sur le terrain des différences entre les peuples et les situations, parfois comiques, parfois dramatiques, sont traitées avec ce ton léger qui donne toujours envie de sourire. Le final est très bien choisi et laisse le lecteur imaginer plusieurs possibilités.
La suprême récompense (The Victime from Space) : un écrivain s'installe sur une planète pour terminer un livre. Il rencontre un peuple sympathique et décide de lui venir en aide. Il est alors désigné pour recevoir La suprême récompense, qui est loin d'être ce à quoi il s'attend. Une nouvelle excellente, qui traite de la manière dont certains peuples peuvent voir les choses, à contre-courant de ce dont nous avons l'habitude. La fin est elle aussi excellente, et j'aime beaucoup pouvoir imaginer la manière dont les choses vont pouvoir évoluer, et à quelle vitesse. Je n'en dis pas plus !
Les Spécialisés (Specialist) : l'équipage d'un vaisseau spatial est dans les ennuis. Ils ont perdu leur Pousseur, le seul à pouvoir propulser le vaisseau à plusieurs fois la vitesse de la lumière. Ils partent donc à la recherche d'un nouveau Pousseur et arrivent sur Terre. Cette nouvelle est très originale, avec une vision particulièrement sympathique de l'équipage d'un vaisseau et de sa manière de fonctionner. J'ai vraiment beaucoup aimé.
La septième victime (Seventh victim) : dans le futur, le meurtre est devenu autorisé sous certaines conditions. Stanton Frelaine vient d'obtenir le nom de sa victime, qui a accepté la Chasse. Il se lance donc à sa poursuite... Une idée très intéressante, non dénuée de cynisme, et qui reflète bien à quelles extrémités l'homme peut parvenir pour compenser la violence qui sommeille en lui. Je m'attendais un peu à la fin, mais elle est particulièrement bien amenée, c'est très agréable.
Permis de Maraude (Skulking Permit) : dernier coup de cœur, et donc final en beauté. Une colonie terrienne, aux confins de la galaxie, n'a pas eu de nouvelles de la Terre depuis deux cent ans. Un beau jour, la radio se remet à fonctionner et le Maire du village doit s'assurer que la colonie répond bien aux critères des terriens. Il se lance alors dans une absurde série de mesures pour coller au mieux à ces derniers. Une nouvelle hilarante, traitée avec soin, et dont j'ai adoré le final. Un texte vraiment superbe !
Le temps des retrouvailles, Robert Sheckley
Éditions Argyll
404 pages
22,90 €